Chapitre 6

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Le soleil remplaçait nonchalamment la lumière artificielle des lampadaires. Un fracas de métal en mouvement, de grincements irréguliers, de pulsions sonores accompagnait la conquête de l'aube naissante. Des carrioles de fer lancées vers le ciel à pleine vitesse froissaient bruyamment l'air. De douces brises emportaient avec elles les plumes perdues des alizons. Il serait faux de dire que la ville s'éveillait, car les travailleurs nocturnes étaient aussi nombreux que les diurnes. Néanmoins, coquette, elle se parait de multiples artifices afin d'être présentable. Une odeur artificielle d'humus, de pin et d'herbe coupée remplaçait les émanations âcres des industries. Les trottoirs vibrants réveillaient les mendiants. Les agents d'entretien finissaient leur ronde. Des musiques apaisantes parcouraient certaines rues tandis que de nouvelles plantes grimpantes serpentaient rapidement sur les murs dégradés.

Seul le sommet de certains bâtiments semblait ne pas parvenir à parfaire totalement ce spectacle. La couverture y était inconsistante par endroits, habitée de secousses et tremblements irréguliers lors desquels on pouvait voir apparaître brièvement des amas de bois et de tissus, des reflets métalliques et des silhouettes aux contours imprécis. Ces quelques désagréments visuels n'étaient visibles qu'à dos d'alizon.

Sur la cime d'un grand ensemble, un étrange carnaval de corps allongés, de fils tendus, de bois creux et de pierres cassantes conjurait une tempête d'harmoniques contre le murasson. Quelques rares montées perçaient par moment la frontière, s'envolant dans la ville comme une voix étouffée. Mais ces échappées étaient rares, la paroi d'air vibrant s'adaptant à la perfection. Ainsi, depuis les rues, on pouvait parfois entendre des sonorités étranges et imprécises, mais rien de suffisamment fort pour pousser les passants à lever la tête de leur pierre à murmure. Cette rixe, aux conséquences sonores bigarrées durait depuis quelques jours, à heure irrégulière, sur une quinzaine de toits.

Deux nouvelles silhouettes vinrent couper l'immobile illusion. Les instruments se turent, par soulagement peut-être, heureux qu'ils étaient de cette venue qui ne pouvait signifier qu'une seule chose, l'équilibre était en passe d'être brisé.

À travers l'hologramme, la première silhouette paraissait pour une nébuleuse esquisse de monstre. Un alignement de têtes de bois et de fer aux gueules béantes, des ventricules enflés et distendus, des pattes arachnéennes atroces. Se déplaçant avec panache juste derrière cette vision des enfers, la deuxième silhouette tenait une sorte de baguette prolongeant son bras épais. Comme si la chorégraphie avait été prévue de longue date, le monstre et son dresseur prirent place sur le champ de bataille. L'un vint se placer au milieu de l'armée, l'autre devant. Et la lutte débuta.

Avec les murassons, il fallait être malin. Ne rien laisser au hasard, car le hasard lui-même, il peut le calculer. En une seule fraction de seconde, il bloque, cache, couvre et enterre toute sonorité ne faisant pas partie des trois 3 cas de figure différents : alerte, avertissement, publicité.

Baguette opta alors pour une rythmique simple que certains qualifieraient de classique, d'autres de désuète, proposant des merveilles sonores dessinées par des cordes douces et des cuivres tranquilles. La symphonie installa une histoire simple et reposante, du genre qui ne parviendrait jamais à transpercer leur cage d'air. Et le monstre attendait. Tranquille.

D'une torsion du poignet, la baguette bifurqua et gagna en agitation, les mèches des archets frottent violemment contre les cordes en un galop furieux. Les premières gouttes de sueurs gagnaient les musiciens. Le monstre s'étirait, piaffant d'impatience.

C'était enfin son moment.

Un épiphanie rythmique faucha l'air matinal. Une synthèse de borborygme, sifflement, souffle vicié, cri de haine et d'amour. La barrière trembla. Et l'instrument poursuivit son chahut en dissonance avec l'orchestre. Il forçait le barrage encore et encore et cette dernière tremblait comme si les algorithmes eux-mêmes sentaient venir leurs derniers moments. Et au terme d'un affrontement de quelques minutes, le monstre brisa sa cage, et laissa son cri s'envoler dans toute la ville.

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⏰ Last updated: Apr 27 ⏰

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Le cœur de la LuneWhere stories live. Discover now