Prologue

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Bien que ses habitants n'aient jamais découvert l'usage de la roue, la ville de Darina était sans conteste la plus prospère du globe. Un seul coup d'œil permettait de constater l'étendue de sa réussite : d'immenses gratte-ciel de calcaire dur s'étiraient vers le ciel, tantôt droits comme des traits de flèches et d'autres fois aussi recourbés que des sabres dyrhéens. Entre eux surgissaient çà et là des voitures de bois ou de fer, sautant haut dans les airs d'un bout à l'autre de la ville, avec la même trajectoire curviligne que des puces au dos d'un chien.

Au sol, des pierres grossièrement taillées, disposées en damier, formaient un ensemble relativement plane, un peu plus haut que la chaussée boueuse où circulaient des charrettes. Ces dernières avaient la particularité de léviter de quelques centimètres. Elles étaient tractées par des chevaux dont les lourds sabots s'imprimaient à chaque pas dans le sol humide. Leurs cargaisons, couvertes par des bâches de tissu, convergeaient toutes vers une grande place au centre de la ville. Des milliers de personnes s'y retrouvaient pour échanger toutes sortes de denrées. Parmi les marchandises les plus prisées du moment, une réduction était proposée sur les derniers modèles de pierres à murmure, les miroirs à étincelle ou encore les fameux skopein darinéens, dont le commerce n'était autorisé qu'au sein de cette foire.

Pas une pièce d'or n'était échangée. Dans cette contrée, on n'en connaissait pas l'usage. Au terme de chaque transaction, les acheteurs posaient leur main sur des petites fioles de verre, posées en évidence devant chaque étal. Par ce simple contact, les récipients transparents se remplissaient alors d'une légère fumée bleutée, sous l'œil ravi des commerçants.

Une fois les achats effectués, il était d'usage de consommer quelques verres en terrasse ou, pour les plus pressés, de se nourrir dans un des nombreux services de restauration rapide avant de retourner chez soi. Pour les citadins ordinaires, cela signifiait emprunter un des transports en commun menant vers les quartiers aux immeubles effrités. Pour les plus aisés en revanche, un appel à la pierre à murmure suffisait pour faire venir un alizon, le moyen de transport le plus rapide, pour peu que l'animal ait le ventre plein.

Ce jour-là, seuls les citoyens les plus riches rentraient chez eux, car c'était eux qui jouiraient de la plus belle vue sur l'événement de la soirée. Quant aux autres, s'ils voulaient contempler le spectacle, il leur faudrait rejoindre la périphérie de la ville, là où les bâtiments, bien plus bas, permettent de voir le sommet du mont Asna.

La rumeur avait fait plusieurs fois le tour de la ville, si bien que tout le monde était au courant et plus la journée avançait, plus on se pressait pour ne pas le rater.

Au crépuscule, la ville de Darina enverrait une nouvelle fois un dragon sur la Lune brisée.

Dernier jour de l'an -1

Le cœur de la LuneWhere stories live. Discover now