Chapitre 2

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Dans des circonstances de vie ordinaires, Til aurait sans nul doute fait partie de cette catégorie de personnes dont on apprécie s'entourer. Il était aisément de bonne humeur, empathique et loyal, le tout ponctué de cette humble candeur qui caractérise ceux qui ne se rendent pas compte de leurs qualités. Si enfant il avait été mignon, l'adolescence lui avait apporté suffisamment de bienfaits pour que l'on puisse le trouver beau. Des jolies boucles brunes perlaient sur ses yeux bleus et il était devenu expert à ce sourire affectueux d'où pouvait transparaître un amour sincère. Malheureusement, les nombreuses heures passées à dormir avaient pâli son visage et amaigri son corps. Cette infortune avait engendré un défaut duquel découlaient tous les autres. Il comptait le temps.

Chaque seconde qui s'écoulait était pour lui une torture. Cela le rendait certains jours aigri, parfois égoïste et la plupart du temps doté d'un détachement singulier vis-à-vis de tout ce qui ne le concernait pas directement.

Tous les jours, il se réveillait au lever du soleil et s'endormait à son zénith. Aujourd'hui ne dérogeait pas à la règle, Til se leva alors que les premières lueurs de l'aube traversaient les volets de sa fenêtre. Il récupérait de ses dons plus rapidement que le reste de sa famille, c'est pourquoi il disposait de cette petite heure de tranquillité que jalousaient bien des endormis.

Doucement, il se leva de son lit. Le plus dur au matin, quand son esprit divaguait encore, c'était de garder l'équilibre sur le sol tordu de sa chambre. Bien des fois, il s'était cogné contre le lit de sa sœur. Il faut dire que les oscillations irrégulières du bâtiment rendaient la marche difficile. Fort heureusement, le sommeil si lourd de cette dernière empêchait toujours son réveil.

Ce matin, le bâtiment avait entamé sa longue transition, passant d'une inclinaison est à ouest. Til avait l'habitude de ce genre d'exercices d'équilibres. D'un pas souple, il s'approcha de la porte de sa chambre et saisit ses chaussures au sol. Elles accrochèrent le parquet un moment avant qu'il ne réussisse à les y arracher . Les mages bâtisseurs avaient placé sur les lieux un enchantement permettant à tout objet posé au sol de rester en place. Ce stratagème évitait qu'un lit ou un meuble se retrouve à écraser quelqu'un contre un mur. Mais le sort, comme toute manifestation magique dans ces lieux, avait mal vieilli. Il était devenu difficile de marcher autrement que pied nu. Les bottes de Til étaient aussi pénibles à soulever que si elles avaient été faites de plomb. Et bien mal lui en aurait pris de faire tomber quelque chose sur le sol. À cette pensée, ses yeux tombèrent brièvement sur le stylo qui traînait dans un coin de la pièce depuis quelques années. Personne n'était jamais parvenu à le ramasser.

En ouvrant la porte, la lumière discrète s'intensifia dans la chambre, éclairant le corps de sa sœur. Les balancements l'avaient déplacée, abandonnant ses maigres jambes sur le sol, tout en retenant de justesse son buste, formant une torsion presque perpendiculaire. Til, avec la démarche maladroite imposée par ses bottes, attrapa délicatement les mollets de sa sœur et les reposa sur le matelas. Elle aurait probablement des courbatures, mais au moins se réveillerait-t-elle confortablement installée.

— Je retourâte, chuchota-t-il affectueusement.

Se déplaçant sur la pointe des pieds dans le couloir faiblement meublé, il passa devant la chambre de ses parents, puis arriva dans une petite pièce qui était à la fois entrée, salon et cuisine. Posées sur la seule table de leur appartement, quelques fioles de verre étaient remplies d'une mixture évoluant entre l'état liquide et gazeux, certaines bleutées, d'autres vertes en fonction de la qualité du repos de ceux qui les avaient alimentées. Celle de Til était de loin la plus remplie et la plus stable. Un liquide bleu presque transparent formait des volutes dans le petit récipient. Une qualité peu commune qui participait grandement à la subsistance de sa famille. Il condamna toutes les fioles à l'aide de bouchons et de cire et les plaça délicatement dans sa besace. Comme chaque matin, il allait les échanger au marché contre quelques denrées pour se nourrir. Il sortit dans le couloir.

Le cœur de la LuneWhere stories live. Discover now