Chapitre 3

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Cita, Bephos et Astral tournaient autour du monde, comme autant d'yeux contemplant les hommes.

Cita était la plus grande. Éloignée et rarement visible, elle n'était pleine qu'une fois par an. Mais la nuit de son apparition était extraordinaire. On eût dit qu'elle réservait son charme tout le reste de l'année, afin de mieux impressionner lors de la "nuit de la Lune pleine" où ce miroir ardent illuminait la ville presque aussi bien qu'en plein jour. Le deuxième astre, Bephos avait une circonférence plus modeste. On voyait rarement sa couleur jaunâtre dans le ciel car elle reflétait peu la lumière. La plus proche de la terre. Astral, durant des millénaires, avait accompagné sa rotation. La constance de ses rythmes avait inspiré poèmes, peintures et calendriers. Des superstitions millénaires hantaient encore les darinéens au rythme de ses cycles de dévoilement et dissimulation. La Lune pleine revigorait les plus épuisés, encourageait fertilité, pouvoir et blanchiment du linge. Son premier quartier favorisait le sommeil tandis que la Lune gibbeuse le perturbait. La syzygie d'Astral, du monde et du soleil, au moment d'un équinoxe était le prétexte à de nombreux rites au sein de toutes les églises.

Mais le spectacle de cet astre avait disparu il y a sept ans de cela, lors de ce qui fut sans aucun doute, le jour le plus sombre de l'histoire du monde. Un tremblement avait inauguré le cataclysme, d'abord inaudible et presque imperceptible, cette secousse du cosmos avait gagné en résonance. Tout ce qui avait un estomac avait été pris de nausée. Tous les cœurs avaient manqué un battement. Toutes les peaux avaient frissonné. Du corps de basalte et d'anorthosite, s'était dessiné un gouffre, semblable à une bouche hurlante distordue par la souffrance. La mâchoire d'Astral s'était ouverte, libérant des dents de roches qui s'étaient évadées dans l'espace. De cette gueule béante, profonde comme un abyme, s'étaient échappés des gerbes de magma en fusion. Le ciel s'était empli de vomissures de lave, semblables à des serpents dessinant de gigantesques arabesques sanguines, avant de se cristalliser en dizaines de milliers de larmes. Chacune d'entre elles brillait d'une lumière singulière, la plupart grises, d'autres blanches, rouges et parfois bleues. Toutes ces petites tâches s'étaient éparpillées dans le ciel comme autant de papillons.

Au fil des mois, l'espace avait structuré ce désordre. La plupart des fragments s'étaient regroupés en un anneau autour d'une Astral à la croûte brisée comme une coquille de noix. D'autres morceaux en revanche, étaient allés s'écraser sur les deux autres lunes, changeant drastiquement leur topographie et exterminant bien des hommes qui y résidaient.

Des mois durant, les habitants avaient ressenti des nausées. Le rythme nycthéméral avait été ralenti d'une heure. La chaleur s'était intensifiée, de même que les pluies et déluges saisonniers. Et la carte des courants d'énergie avait complètement été modifiée.

C'est ainsi que des décombres d'Astral, était né le mouvement de la Lune brisée.

Suite à la faille béante, à la mauvaise allure de sourire apparue sur leur troisième lune, les bâtiments des endormis avaient redoublé leurs balancements. Le manteau de roches avait caché une forte partie de la lumière du soleil, aggravant l'asthénie générale de ses habitants. Plus grave encore, les dons d'énergies étaient devenus plus durs, moins fiables.

Cela avait engendré un mouvement de contestation dans tout l'empire. La révolte avait duré trois mois. Trois longs mois durant lesquels la ville était au bord de la guerre civile. C'était le désespoir d'un peuple contre le confort d'un autre, deux forces incoercibles pris dans une lutte aussi éternelle que la rotation des astres.

Ces événements mirent un point final à la royauté déjà à bout de souffle et furent à l'origine de la nomination d'un nouveau bourgmestre, Lord Arris, un homme du centre censé apaiser les tensions.

Le cœur de la LuneWhere stories live. Discover now