Chapitre 5

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Une odeur de soufre, de poussière et de relents d'immondices humaines se mêlaient en un enchevêtrement pestilentiel. Til se réveilla le corps poisseux de sueur, tiraillé entre sa douleur au crâne et son estomac retourné. Le froid claquait ses dents en une rythmique inquiétante. Ses bras étaient trop faibles pour l'aider à s'asseoir. Alors, la tête toujours couchée contre les pierres humides, il contempla son environnement renversé. Il était dans une geôle. Devant lui se trouvaient deux gamelles, une remplie d'eau et l'autre vide.

— Fini de pioncer ? S'cuse j'avais besoin d'un casse dalle et vu ton état j'pensais pas t'voir te réveiller avant demain.

Dans un sursaut, Til tenta de se relever. Poussant un grognement, sa tête chuta à plusieurs reprises contre la pierre avant que ses cervicales parviennent à la soutenir. Il ne put faire mieux que de s'asseoir, dos contre le mur, essayant d'ignorer ses maux de crâne.

La voix rauque qui avait surgit d'un coin de la cellule appartenait à une détenue. L'obscurité dissimulait ses traits mais il reconnaissait la forme d'une femme imposante aux habits crasseux.

— Moi c'est Galia, la grande qu'on m'appelle. La grosse pour certains mais y cancanent pas ça longtemps. Bienv'nu dans mon royaume, un monde qui pue la merde et le sang caillé, des horreurs à t'dépuceler l'groin. Mais une fois qu'tu t'y fais, crois-moi, c'est royal.

Til reçut cette avalanche de mots de plein fouet. Pour quelqu'un pour qui l'économie de mots était une question de survie, cette abondance de termes était extrêmement déroutant.

— Ah toi t'es un roupilleur ou j'm'y connais pas. En même temps ya bien qu'nous autres qu'y mettent en cabane. A s'demander s'y croient pas qu'on fait juste semblant de pioncer là dehors. Imagine ça ! Le magouillage du siècle ! 1 millions de gonzes qu'on qu'ça à faire de feindre la grass mat.

— Nous autres ?

— Et une chouette voix en plus, si c'est pas trognon ! Oui moi aussi j'passais le plus clair de mon temps au pieu avant qu'on m'enferme ici ! C'est quoi ton nom ?

— Til

— Til... c'est chouette j'pourrais m'y faire.

— Tu es ici depuis longtemps ?

— Plus de jour ici que dehors. Et c'est pas prêt de changer jamais je veux qu'y me sortent.

— Dehors vous manque pas ?

— Ah t'es bien gentil mon gars mais non merci. Cette ville-là, c'est un siphon enfin si y'en avait que six des fonds, mais non c'est sans fin elle te pompe jusqu'à plus soif. Ces affreux qui raflent nos box en friches c'est comme un torrent qui te tire par le froc. Jamais la même eau, jamais les mêmes trognes mais toujours le même système. Des pissefroids défraîchis dans leurs bureaux dorés avec leurs miches plus collées à leurs sièges que ces fatras de pierres branlantes qu'ils appellent nos chambres. Elles pourraient te tomber tout entier sur la tronche qu'i t'fraient quand même raquer pour le déblaiement et après y tombent sur l'cul quand deux trois gosses comme toi bagoulent un peu trop fort leur soif de changement. Des vrais affranchis de l'éthique ces gonzes ! Des microfractographes qui t'feraient passer une fente pour une faille, un interstice pour une crevasse et un sillon pour un canyon. T'avise pas de jacter du temps de feu Kessel II, où y te fourreraient au mitard pour perpet. Crois-moi pour avoir fait la visite deux trois fois, c'est pas jouasse. Les gars là-bas ils ont les yeux plus vides que nos plus gros roupilleurs. Ils se trainent par terre à quat pattes comme les cabots malades d'la rue d'Astral. Moi j'préfère rester bien sagement dans ma niche à zyeuter l monde de loin comme ces types qui s'rincent volontiers l'œil sur une catin bien foutue mais qu'osent pas les prendre par frousse d choper une infection. Si t'es un peu dégourdi je te conseille de faire de même. Les matons y sont pas trop vaches si tu les caresses dans l'sens du poil et la galetouze est pleine tous les soirs. En plus le mardi y'a d'la viande.

Le cœur de la LuneWhere stories live. Discover now